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Afrique et Océan Indien

Entretien avec Johnny Clegg, élève à l’Alliance Française de Johannesburg, Afrique du Sud, depuis septembre 2018

Depuis début Septembre 2018, le célèbre chanteur sud-africain Johnny Clegg, alias le «Zulu Blanc», prend des cours à l’Alliance Française de Johannesburg afin de parfaire son français. Il a autorisé son professeur, Muriel Huet, à répondre à quelques questions sur son lien avec la France… à condition de retranscrire l’entretien en gardant les fautes de syntaxe qu’il pouvait faire et les corrections du professeur ! Dans un souci d’humilité… Johnny Clegg nous dévoile ainsi les aspects de ce lien si fort qu’il a avec la France et pourquoi sa musique a eu plus d’impact en France qu’ailleurs.

Muriel Huet : Comment votre relation avec la France a commencé ?
Johnny Clegg : Ça a commencé dans les années 1987, c’est le début de notre album, le premier album Third World Child et le premier spectacle c’était pour le Festival de Jazz à Angoulême. La première fois que je suis allé en France. Et aussi, le deuxième spectacle c’était à Paris au Cirque d’Hiver. Et après nous avons retourné…
MH : Nous « sommes retournés »…
JC : Nous sommes retournés à Johannesburg. Ça c’était le premier intérêt.

MH : Mais à l’époque vous ne parliez pas français. Et vous avez appris comment ?
JC : Lentement ! mon manager était français, Monsieur Claude Six et lentement il me dit « Non, c’est très important de parler avec les gens » et il avait écrire…
MH : Il « avait écrit »
JC : Il avait écrit une petite traduction en français du sens des chansons que je chantais. Il avait placé le papier sur la scène et quand je parlais, je ferme les yeux…
MH : Ahhhh « quand je parlais, je baissais les yeux » !
JC : Et je lisais le papier. Et après, j’ai essayé… » to memorise  » ?
MH : De me souvenir ou de mémoriser.
JC : De mémoriser chaque introduction et… Lentement aussi, l’introduction est devenue un peu longue… « we added » in »?
MH : Nous avons ajouté.
JC : Nous avons ajouté les faits très intéressants, culturels et zulu en français. Et après j’avais mémorisé tout ça. Et après le spectacle le public voulait parler avec moi en français… *rires*.Maintenant, je sais que c’est important de parler un peu et d’apprendre le français. Juste de parler un peu chaque jour. En 1988 ou 1989, j’ai demandé à l’Alliance Française de Johannesburg de me donner un professeur. C’était un jeune homme qui faisait son service civique et après il a voyagé en Argentine. Et je faisais 6 mois ou 8 mois de cours, en cours privé 3 fois par semaine. Environ 1h mais c’était un peu répétitif parce qu’on faisait tous les verbes, « je suis, tu es, être, avoir », la grammaire. *rires*.

MH : Mais ça a bien marché, la preuve maintenant vous parlez bien français. Et dites-moi, quels aspects de la culture français appréciez-vous le plus ?
JC : À cette époque, j’ai trouvé que le peuple français était très curieux, il voulait découvrir les autres cultures. Il était très ouvert au niveau de la sensibilité et il voulait comprendre les idées et valeurs des autres cultures.

MH : Et la culture sud-africaine était connue à l’époque ?
JC : Non, pas bien. Et c’était beaucoup la culture du Sénégal et des pays francophones. Mais je crois qu’il y a d’autres cultures, comme chinoise, asiatique, russe aussi… C’était un temps très intéressant et c’était aussi un temps contradictoire parce que c’était aussi le temps en France du début de l’extrême droite et des premiers sentiments contre les migrants. C’était aussi dans l’année à laquelle je suis arrivé, l’année de la première fois que Le Pen a obtenu 15% dans le Parlement français.

MH : Et vous vous arriviez avec votre musique Zulu ?
JC : Oui, c’était contre l’apartheid, c’était anti-raciste et c’est aussi l’année du début de SOS Racisme.
Je me souviens il y avait un petit badge qui disait « Ne touche pas à mon pote ».

MH : Et vous pensez que c’est lié à la popularité de votre musique en France ?
JC : Oui, c’est le commencement d’un focus médiatique en Afrique du Sud et de la lutte contre l’apartheid. Et aussi l’idée qu’il était possible de mélanger les cultures noires et blanches dans une chanson et dans un spectacle, c’était la reconnaissance d’un projet comme Savuka qui voulait essayer de faire un mélange dans une société qui veut séparer les gens selon les lois raciales et selon les lois de ségrégation culturelle. Je crois que c’était un son et un mélange musical très impressionnants pour eux.

MH : D’où votre surnom le «Zulu Blanc». Car c’est en France que ça a commencé non ?
JC : Non, c’est avec le chef du magazine Actuel. Il arrive en Afrique du Sud dans les années 1986-1987 et il a parlé avec les gens à Soweto. Et il a demandé « Vous connaissez Johnny Clegg? » et les gens rigolaient et ont dit « Oui! c’est le Zulu Blanc! ». C’était une blague car en Afrique du Sud c’était impossible d’être un Zulu Blanc.

MH : C’est vrai qu’en France on vous connait sous ce surnom. Et à votre avis, pourquoi vous êtes plus populaire en France que dans d’autres pays en Europe?
JC : Je crois que c’était l’époque de l’engagement de la France entre les gens progressifs et les gens qui étaient conservatives et traditionnels.
MH : Progressistes et conservateurs.
JC : Et je crois que la montée de Le Pen était aussi choquante pour la France, qui ne croyait pas que l’extrême droite « would get such a high support ».
MH : Ils ne pensait pas que l’extrême droite pouvait obtenir autant de votes.
JC : Mais notre musique n’était pas très lourde avec la passion politique et idéologique. Notre musique n’était pas didactique. On n’avait pas *pointing the finger at anybody » ?
MH : On ne dénonçait personne.
JC : Savuka était un groupe qui célébrait le mélange des cultures avec une joyeuse énergie et une tentative de montrer la possibilité d’être ensemble. Et ça, c’était un moment qui encourageait à sourire.

MH : Ce que vous dites, c’est que sans avoir une musique littéralement engagée et activiste, votre message véhiculait l’importance d’être ensemble.
JC : Aussi, il y a beaucoup de messages politiques dans mes chansons et dans mes mots. Dans notre proposition musicale il y avait beaucoup de sentiments politiques et anti-racistes mais avec une manière qui célèbre notre humanité commune. C’était l’union entre le spasme politique en France et notre groupe qui arrive à ce moment.

MH : Quel a été l’événement le plus marquant de votre vie ?
JC : Je crois que c’est la naissance de mon fils. C’était un moment qui a changé ma vie et m’a changé parce que je n’étais plus le centre de l’univers. *rires*. J’avais 35 ans quand il est né. Il y a beaucoup de très beaux moments dans ma carrière et en France aussi c’était des moments très hauts de ma vie, comme le Festival de Bourges où c’était la première fois que le festival recevait 17 000 personnes. Et dans les spectateurs, il y avait le Premier Ministre de l’époque, Michel Rocard et lui aussi avait son briquet *rires*. Et j’ai rencontré Madame Mitterrand, j’ai rencontré beaucoup de personnes qui soutenaient notre projet, comme Jack Lang. Et aussi dans la rue, s’ils me voyaient, les gens étaient très heureux et joyeux de me rencontrer. Et j’ai fait l’expérience de la générosité du peuple français et leur inquiétude par rapport à mon pays. C’était de très belles années pour moi dans les années 1980.

octobre 2018 – interview : Muriel Huet -Transcription : Ambre Arcangeli, septembre 2018

Article paru dans OUEST FRANCE, juillet 2019 >>