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Afrique et Océan Indien

La poésie à hauteur d’âme : Rencontre avec le poète Jamal Bouzouz à l’Alliance Française de Safi

Le 17 mai dernier, l’Alliance Française de Safi s’est faite théâtre d’une soirée rare, où les mots, loin de n’être qu’un simple véhicule d’idées, sont devenus matière vivante, souffle et silence. Cette rencontre littéraire avec le poète Jamal Bouzouz n’a pas seulement offert un moment de poésie ; elle a ouvert un espace de résonance, de mémoire partagée et de dialogue sensible entre une œuvre et ceux qui l’écoutent. Dans une époque saturée de bruit, il est des voix qui murmurent plus fort que les cris : celle de Jamal Bouzouz est de celles-là.

La soirée a débuté dans une atmosphère feutrée, attentive, presque suspendue. Dès les premiers mots du poète, le public a été invité non pas à écouter, mais à entrer. À entrer dans un parcours de vie et de création, à cheminer dans les ruelles réelles et rêvées de Safi, à entendre le bruissement de cette ville dans les souvenirs, dans la langue, dans les silences d’un homme qui en a fait sa source. Il ne s’agissait pas d’un simple récit autobiographique, mais d’un dévoilement pudique et sincère : celui d’un rapport organique à l’écriture, vécue non comme une posture intellectuelle, mais comme un acte vital. Une nécessité.

Une poésie des sens, une poésie des lieux

À mesure que Jamal Bouzouz racontait sa démarche, son lien à la ville et au verbe, on comprenait que sa poésie ne se contentait pas de décrire : elle captait. Elle saisissait l’invisible, la mémoire des lieux, l’épaisseur des instants. Il parlait d’une écriture qui mobilise tous les sens – l’odeur des choses, la texture d’un souvenir, le rythme d’une langue. Son travail poétique est une forme d’archéologie intime : creuser le présent pour y déterrer les fragments enfouis de l’émotion, de l’histoire, du vécu.

Lorsque vint le temps de la lecture, c’est en arabe que Jamal Bouzouz fit résonner ses poèmes, avec cette intensité feutrée qui lui est propre. Pour offrir une immersion plus complète et créer un véritable pont entre les cultures, une interprète de l’Alliance Française de Safi en a assuré la lecture en français. Ce double souffle — celui de la langue originelle et de sa transposition — a permis aux auditeurs de toutes sensibilités de s’imprégner de la musicalité des vers tout en en saisissant la profondeur. La lecture fut accompagnée au ukulélé, dans une ambiance à la fois douce et dense, où chaque note semblait souligner la texture d’un mot, l’ombre d’un silence.

Jamal Bouzouz ne conçoit pas la poésie comme un simple objet littéraire. Il la vit. Il la ressent. Il la transmet comme une expérience sensorielle totale. Pour lui, la poésie est liée à tous les sens : elle s’écoute, se regarde, se respire, se sculpte presque. Il nous a ainsi rappelé les liens étroits qu’elle a tissés avec la sculpture dans les années 1980, où formes et mots s’entremêlaient dans un même élan créatif. Dans sa vision, la musique — qu’elle émane d’un orchestre philharmonique ou d’un ukulélé — est un prolongement naturel du poème, un écrin sonore qui accompagne et révèle. C’est dans cet esprit que son dernier recueil est enrichi des photographies du talentueux Abderrahmane Elgarh : une façon de donner à voir ce que les mots murmurent, d’ouvrir un espace poétique où texte et image se répondent.

Safi, mémoire partagée et territoire poétique

La lecture s’est prolongée dans un échange d’une rare intensité avec le public. Loin d’un simple « temps de questions », ce fut une conversation, une mosaïque d’impressions, de souvenirs, de réflexions. Beaucoup des personnes présentes partageaient, avec l’auteur, un lien charnel à Safi – ses paysages, ses mutations, ses blessures aussi. Et dans ce dialogue, chacun semblait chercher à formuler sa propre poétique du lieu, à dire ce qui, en lui, résonnait avec les mots de Bouzouz. C’était là toute la puissance de cette rencontre : non pas imposer une vision, mais inviter à l’écoute de soi par le biais des mots de l’autre.

Dans ce moment de communion, on saisissait combien la poésie peut encore — doit encore — être un lieu de rassemblement. Non pas un art élitiste, mais un territoire commun, où l’on dépose ses expériences, ses douleurs, ses espoirs, pour les voir réinterprétés, transformés, magnifiés.

La culture comme lien vivant

La soirée s’est conclue par une séance de dédicaces, chaleureuse et sincère. Un prolongement naturel de la rencontre : sourires, échanges plus personnels, livres signés avec attention. Ce fut un moment d’humanité simple, sans artifice, dans lequel on sentait encore vibrer les échos de la lecture.

À travers cette rencontre, l’Alliance Française de Safi réaffirme son rôle de passeur culturel et de catalyseur de liens humains. En accueillant Jamal Bouzouz, elle a offert bien plus qu’un événement littéraire : un moment de lenteur, de profondeur et de beauté. Une respiration dans le tumulte. Une preuve que la poésie, loin d’être un art mineur ou confidentiel, est un langage du cœur, de la ville, et du monde. L’Alliance Française de Safi remercie chaleureusement Jamal Bouzouz pour la générosité de sa présence, la justesse de sa parole et la profondeur de son regard sur le monde, qui ont permis de faire de cette soirée un véritable moment de grâce.