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[FRANCOPHONIE] Compagnie Bakhus : danse hip-hop pour le Mois de la Francophonie à Cuba

Créée en 2011 à l’initiative du chorégraphe et directeur Mickaël Six, la compagnie française de danse contemporaine Bakhus était à La Havane au mois de mars dernier dans le cadre des festivités de la Francophonie. Leur séjour s’est articulé autour d’un riche programme : forums thématiques à l’Alliance Française de La Havane, ateliers et cours ouverts à la Fábrica de Arte Cubano, rencontres avec des danseurs professionnels issus de différentes compagnies havanaises, sans oublier la représentation unique de Gaia 2.0 dans la salle Avellaneda du Théâtre National de Cuba.

La compagnie Bakhus réaffirme sa volonté de placer la danse au cœur d’un dialogue entre les arts. En élargissant les champs d’expression, elle insuffle à chaque création une dynamique propre. Dans ses mises en scène, le corps dansant entre en résonance avec l’acrobatie, la musique en direct, la vidéo-installation, les arts du cirque, la scénographie ou encore la manipulation d’objets.

Les créations de Bakhus naissent de rencontres multiples et fécondes, dans une volonté constante d’unir les désirs, de croiser les talents de ses artistes et de susciter des expériences collectives. Leur séjour à La Havane a permis à la compagnie d’échanger avec des danseurs et des collectifs amateurs de breakdance, des langages familiers pour les membres de la compagnie, qui mènent, en parallèle de leur travail de création, un ambitieux projet à vocation pédagogique et communautaire. La sensibilité de leurs actions publiques et leur présence dans de nombreux événements culturels et sportifs à travers le monde sont devenues leur marque de fabrique dans le paysage de la danse contemporaine française.

Basée dans le sud de la France, la compagnie bénéficie du soutien d’institutions culturelles des principales villes du département des Alpes-Maritimes. Parmi elles, le Théâtre de Grasse, pôle national de référence pour la création en danse et en cirque, accompagne plusieurs de leurs productions. Une reconnaissance institutionnelle qui témoigne du chemin parcouru par le hip-hop, désormais considéré comme une discipline artistique à part entière.

Pour Mickaël Six et ses quatre danseurs — Sami Loviat-Tapie, Marius Fanaca, Camille Masia et David Owel — le hip-hop dépasse le cadre d’un style ou d’une technique : il devient un langage profond, une manière d’interroger l’empreinte que laissent les corps, les espaces et les êtres humains sur la Terre. C’est une danse qui s’affirme aussi bien au centre qu’à la marge, sur les pelouses, l’asphalte ou les scènes les plus prestigieuses, dans un geste de désacralisation qui renverse les hiérarchies établies et redonne toute sa légitimité à un univers chorégraphique longtemps marginalisé.

Les corps vêtus de tenues amples, l’énergie vive de la jeunesse, la vigueur d’une expression souvent perçue comme contestataire : tout cela participe d’une esthétique singulière. Mais au-delà des origines stylistiques de chaque membre, c’est bien le corps qui demeure le premier outil de création, espace d’expérimentation sans cesse réinventé. La mise en œuvre d’une théâtralité spécifique, ouverte à l’aléatoire, au combat, à l’urgence, inscrit leur danse dans un flux organique et puissant. À ce titre, les chorégraphies de Bakhus pourraient rejoindre, si l’on suit la pensée de Marcel Mauss dans Les techniques du corps, une forme de répertoire anthropologique, où le corps n’est jamais neutre, mais habité par un habitus, fruit d’une culture, d’une société, sans jamais oublier la dimension physiologique, psychologique et sensible de l’expérience dansée.

Gaia 2.0, c’est le titre de la pièce présentée par la compagnie Bakhus dans le cadre du Mois de la Francophonie 2025. A travers cette création, la compagnie interroge la place des technologies dans notre quotidien et, plus largement, le sens que nous attribuons aujourd’hui au mot « humanité ». Entre l’homme organique et l’homme augmenté, quel est le devenir du corps humain dans un monde dominé par les logiques productivistes et économiques ? Poser cette question revient à repenser les transitions de l’humanité et à se confronter aux défis qu’elle doit désormais affronter.

Sans prétendre délivrer de vérités absolues, ni proposer une nouvelle lecture philosophique, GAIA 2.0 entrelace performances corporelles, vidéos, scénographies et intentions fondatrices pour éveiller la conscience du spectateur à une révolution technologique en marche – rapide et profonde – qui oblige tout un chacun à réinterroger sa place dans le monde. Portés par une scénographie mouvante, des jeux de lumière subtils et un « vidéo mapping » immersif, les corps en mouvement dessinent des trajectoires fugaces à la croisée du tangible et de l’onirique. La danse devient alors un langage hybride, un champ de tensions entre l’analogique et numérique, entre l’humain et la machine.

Gaia 2.0 est une invitation vigilante à repenser la préservation du vivant, dans un monde où la désincarnation de la « chose en soi » menace d’effacer l’essence de l’humain. Dans l’instabilité du présent, les gestes chorégraphiques de Bakhus dessinent des formes de résistance, un appel à renouer avec la Terre, avec ce qui, en chacun de nous, continue de croire que l’art peut encore éclairer le chemin.

Noel Bonilla Chongo, responsable culturel, Alliance Française de La Havane