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La Bande dessinée contemporaine francophone à l’honneur à Cuba

Initialement prévue dans le cadre des journées de la francophonie au mois de mars 2020 puis 2021, l’opération Bande dessinée contemporaine francophone à La Havane, conçue par Lyon BD Festival (JC Devenay), et Québec Bd, a dû être deux fois reportée.

Grâce à la persévérance et au travail en commun des ambassades de France, de Belgique, de Suisse et du Bureau du Québec et de l’importante collaboration de  l’Alliance Française, de la Vitrine de Wallonie et de la Maison Victor Hugo à La Havane, la manifestation s’est finalement magnifiquement déroulée durant les mois de décembre 2021 et janvier 2022.

Comme l’explique  Solen Rouillard, attachée culturelle, à l’origine du projet :   « il s’agissait de présenter, dans chacun des  trois centres culturels précités,  une exposition originale et d’y proposer également différentes tables rondes, un ensemble d’ateliers de création organisés en fonction des publics conviés : professionnels cubains, publics plus large, adolescents, et de clore ces manifestations par un concert dessiné. »

L’opération a été lancée au Palais Prado de l’Alliance Française au cours d’une soirée présidée par M. Patrice Paoli, ambassadeur de France en compagnie du directeur général de l’Alliance française, et en présence de M. Jean-Jacques Bastien, ambassadeur de Belgique, de M. Eric Chaux, COCAC  et des différents organisateurs de la manifestation.

Une conférence de presse a également été organisée au Palais Prado de l’Alliance Française au cours de laquelle les journalistes ont pu découvrir l’exposition Heroínas (Héroïne) présentée dans la galerie.

Héroïnes

Durant les presque 180 ans d’existence de la Bande dessinée, les héros masculins ont majoritairement la vedette. Dans la multitude des personnages créés, les figures féminines restent minoritaires, sont souvent reléguées au second plan,  n’existent le plus souvent que comme des faire-valoir des personnages masculins et leur représentation est stéréotypée.

L’originalité de l’exposition Heroínas, réside dans la proposition faite à une vingtaine d’auteurs.es  d’imaginer et de réaliser la représentation féminine d’un héros de leur choix. Et d’engager ainsi une réflexion autour du genre dans la Bande dessinée.

Ainsi allons-nous à la rencontre dans cette exposition  d’une Coco Maltese voyageant  seule et s’en tirant très bien, une schtroumpfette un peu trop schtroumpfy qui vient chambouler le monde des schtroumpfs, et une  Lucky Lucy, déclarant  à son fiancé : « Non mon coco, ce n’est pas parce que je t’ai sauvé la peau que tu me dois quelque chose »… Cependant,  « Si les reprises et détournements de couverture prêtent souvent à rire dans un premier temps, ils amènent très vite à réfléchir sur les causes et les conséquences de ces stéréotypes », écrit Isabelle Guillaume, doctorante ayant participé au projet.

Aux auteurs francophones Boulet – Florence Dupré Latour – Efix – Virginie Augustin – Jérôme Jouvray – Hélène Becquelin – Lucy Mazel – Bgnet – Yan Le Pon – Nancy Pena – Nico Bannister – Marion Mille – Mathieu Reynes – Lucie Albon – Matthieu Forichon – Marie Avril – Juan Saenz Valiente – Mara (Margaux Kindhauser) – Catel – Jean-Yves Ferri – Cécile Morvan, se sont joints deux auteurs cubains : Ana Roxana Diaz Olano et Alex Izquierda.

« En tant qu’artiste féminine dans un milieu où la présence masculine est prédominante, le genre et la représentation des personnages que je crée sont cruciaux » dit Ana Roxana. « De nombreuses batailles sont menées aujourd’hui pour donner aux femmes les droits qui leur appartiennent. Je soutiens de manière inconditionnelle tous ces combats »,  dit Alex Izquierda.

Plan à 3 Belgique, France Suisse

Présentée à la Vitrine de Wallonie, la deuxième exposition regroupe  les travaux d’une  trentaine d’auteurs. Intitulée Plan de 3 Bélgica, Francia, Suiza (Plan à 3 Belgique, France, Suisse), elle se propose de revisiter le concept de BD Franco-belge et d’offrir  un portrait par touches et morceaux choisis pour  parler de filiation, de transmission, et de création. D’Alex Alice à Zep et Zidrou, d’Emile Bravo à Dimitri Piot, de Maurane Mazars à François Schuiten et de Serge Lehmann à Nicolas Wouters par exemple, l’exposition  montre l’influence, le rayonnement et la modernité de la BD francophone européenne aujourd’hui.

Hoy/Aujourd’hui

Enfin, l’exposition Hoy/Aujourd’hui, proposée par Québec BD invite à découvrir une sélection d’auteurs.es contemporains.es québécois.es, (Brigitte Archambault, Bach, Sophie Bédard, Camille Benyamina, Paul Bordeleau, André-Philippe Côté, Laurence Déa Dionne, Guillaume Demers, Cyril Doisenau, Marie-Noëlle Hébert, Michel Hellman, Félix Laflamme, François Lapierre, Nunumi, Guillaume Perreault, Christian Quesnel et Julie Rocheleau.) à travers des créations originales. Dans ces planches, divers thèmes universels sont abordés, notamment les conséquences de la pandémie, les enjeux environnementaux, la solitude et l’importance de la littérature dans la vie de tout un chacun.

Aurélie Neyret, Hélène Becquelin, Dimitri Piot et Maurane Mazars

Diversité des parcours, des âges, des esthétiques, des pays, des approches, les auteurs francophones invités : Maurane Mazars et Aurélie Neyret (France), Hélène Becquelin (Suisse), Dimitri Piot (Belgique)  ont montrés au cours de débats passionnés et passionnants, la richesse de leur personnalité. Et ont offert lors du concert dessiné, aux adultes et aux enfants, un beau moment  d’évasion. Aurélie Neyret a, de plus, animer un atelier destiné aux adolescents du programme chantons et jouons en français de l’Alliance.

Pour  Aurélie Neyret, lauréate du Prix de la jeunesse au Festival d’Angoulême en 2014, Illustratrice entre autres des Carnets de Cerise, scénarisé par Joris Chamblain, la bande dessinée est un important outil de communication et de transmission de messages éducatifs. L’artiste raconte sa collaboration avec Médecins sans frontière (MSF)  en Afghanistan, où elle a pu en tant que femme artiste réaliser par le biais du dessin (une dizaine de planches) un reportage sur la maternité de Khost, une des plus grosses au monde où naissent trois bébés par heure.

Lauréate du fauve d’Angoulême, prix révélation 2021 et prix Raymond Leblanc de la création pour son album Tanz, dans lequel elle raconte l’histoire de Uli, un jeune danseur allemand juif et homosexuel à la fin des années 1950 qui rêve de  conquérir Broadway,  Maurane Mazars propose quant à elle, une vision du monde dans sa pluralité. Se laissant guidés par le mouvement de la danse, ses pastels aquarellés interrogent le temps  et la différence.

C’est avec son blog Angry Mum, qui sera adapté en bande dessinées et publié  aux Editions Glénat, en 2010, que la « punkette » Hélène Becquelin  revient à la BD dans les années 2000 après sa maternité. Et ce sont ses souvenirs d’enfance racontés dans Adieu les enfants, cette veine autobiographique qui lui permet d’aborder des thèmes peu explorés comme la femme au foyer par exemple : «  J’ai découvert qu’en parlant de soi, on pouvait toucher plein de gens » dit-elle lors d’une interview.

L’empire du Soleil Levant inspire depuis toujours Dimitri Piot. On retrouve le raffinement esthétique qui le caractérise  dans ses séries d’estampes qui réinterprètent magnifiquement de manière contemporaine l’univers des « ukiyo-e ». Signalons son opus à  paraître : des planches inspirées de l’œuvre de Sakubei, un mineur japonais qui a développé son travail graphique dans les années 60.  Au cours d’une de ses interventions, Dimitri Piot nous parle d’une de ces « inventions » : le Blow Book. De petit format 7.6 X 11.6 cm, ces petits ouvrages de la taille d’un paquet de cigarettes, qui tiennent dans une poche et peuvent facilement passer de mains en mains, comptent 224p, proposent une image par page, avec ou sans texte et sont vendus via des distributeurs automatiques ;  lors d’un atelier celui-ci déroule devant nos yeux une vraie bande… dessinée de 10 m de longueur et dont le fil conducteur, plein d’espoir, est la ligne d’horizon.

Les créateurs de bandes dessinées sont aujourd’hui des femmes et des hommes orchestres : tout à la fois  auteurs, dessinateurs,  graphistes,  éditeurs et même  producteurs, nos quatre invités ont montré l’étendue de leur talent qui sans cesse se renouvelle et s’exprime de multiples façons.

La place accordée par les médias à la manifestation (deux passages au journal télévisé, différentes interviews tv radio, une vingtaine d’articles de presse), la réponse du public (une trentaine de personnes à chaque atelier et table ronde, de 100 à 150 personnes aux inaugurations et au concert dessiné), la richesse des échanges entre spécialistes francophones et cubains – dont certains, issus de différentes provinces du pays, ont fait spécialement le déplacement –  montre l’intérêt des professionnels cubains et du grand public pour cet art populaire florissant à Cuba dans les années 70 et 80,  qui avait perdu ensuite de son rayonnement et qui retrouve aujourd’hui de la vigueur, puisqu’il occupe – selon l’observatoire cubain du livre et de la lecture – la quatrième place des pratiques de lecture.

Marc Sagaert, directeur, Alliance Française à Cuba