L’Alliance Française de Chittagong a fêté ses60 ans de présence dans la seconde ville du Bangladesh. Les statuts avaient été en effet déposés le 15 juillet 1965, par un groupe de Français, de Britanniques et de Bengalis auprès des autorités de ce qui était alors le Pakistan Oriental, devenu depuis 1971 le Bangladesh.
Il n’y avait, à l’origine, guère de relations entre la France, le français et la ville de Chittagong, grand port des Indes britanniques, devenu le port de repli des réfugiés de Rangoon, après l’invasion japonaise de la Birmanie, et précédemment un des berceaux de l’indépendance ayant proclamé pendant quelques jours un gouvernement révolutionnaire provisoire qui a duré quelques jours en 1931 (la proclamation de 1971 aura également lieu à Chittagong). On peut citer cependant, dans cette veine révolutionnaire le personnage de Zamor, né à Chittagong, le page jacobin et siddi de madame du Barry. On a pu retrouver un peu de cet esprit lors des événements de 2024 qui ont conduit à la chute du régime de Sheikh Hassina et auquel les étudiants de Chittagong ont pris leur part.
Chittagong est une ville située au cœur de d’un district de 5200 km2 et qui compte 9,2 millions d’habitants (la région en compte 33 millions). C’est une ville commerçante et industrielle qui concentre les industries lourdes du Bangladesh (métallurgie, constructions mécanique, chimie, construction navale, textile). C’est une terre d’émigration essentiellement vers les pays du golfe, mais la minorité bouddhiste de la région a entamé depuis quelques temps une émigration vers les cuisines des restaurants de France et d’Italie. Les policiers et les soldats des régiments basés à Chittagong sont très sollicités pour participer aux missions de maintien de la paix, notamment en Afrique (RDC, Centrafrique, Côte d’Ivoire) ; un niveau de français prouvé par un DELF augmente les chances de partir en mission. Le rêve canadien est bien sûr très fort au Bangladesh, comme une importante diaspora est installée en particulier dans la région de Toronto ; un bon niveau de français mesuré par un TCF ajoute des points permettant, dans la procédure fédérale, d’obtenir le précieux sésame. Et puis il y a tous ceux qui par tradition, par goût, par désir d’ouverture (l’Alliance Française est le seul institut étranger de Chittagong) veulent venir étudier le français. Les études en France sont encore un projet ultra-minoritaire, mais la venue de Choose France! avec Campus France en 2024 a commencé à changer les perspectives. L’Alliance Française est aussi un lieu de (relative) mixité sociale et confessionnelle, dans un pays où comme partout les identités et les appartenances se renforcent et s’opposent. La ville est elle-même sur une zone de fracture puisque la limite entre les langues indo-européennes (le bengali dans sa déclinaison locale) et les langues sino-tibétaines ne passe qu’à une trentaine de kilomètres de la ville, limite très marquée du point de vue culturel, religieux et social. Le drame rohingya, dont les camps de réfugiés se trouvent au sud de Chittagong dans la région de Teknaf ajoute à cette diversité, dont il est difficile de prévoir l’avenir. Ce n’est pas un hasard si l’Université des Femmes d’Asie (AUW), une cliente de l’Alliance, qui accueille des femmes en situation difficile de toute l’Asie pour leur offrir la possibilité de suivre des études supérieures (Afghanes, Palestiniennes, Rohingyas …) est implantée à Chittagong.
L’équipe de professeurs est très désireuse de servir tous ces publics divers et de développer l’offre de cours. Des formateurs reconnus ont été accueillis avec beaucoup d’intérêt. Certains suivent des Masters à l’université de la Réunion. Les nouveaux professeurs sont intégrés par le biais du Certificat de Professorat de l’Alliance Française de Paris, un dispositif régional incluant cours en ligne et tutorat local proposé par la coordination des Alliances françaises de l’Inde. Le nombre d’étudiants et d’heures vendues sont par voie de conséquence en augmentation assez sensible, à la fois par l’arrivée de nouveaux types d’étudiants (et la prise en compte de leurs spécificités) et par la fidélisation de ceux déjà présents, qui ne se contentent plus d’un A1.
La médiathèque, dont les services envahissent tout le bâtiment, est aussi un lieu de redéfinition du service et de la convivialité de l’Alliance, dans un temps où cette dernière aurait tendance à s’assécher au profit d’une simple consommation de cours de langue. Des zones dotées de nouveaux services ou mettant mieux en valeur ceux qui existaient déjà permettent à des visiteurs dans toutes sortes de situations de trouver un endroit où se poser en se distrayant ou en discutant.
L’Alliance Française de Chittagong est une des rares institutions culturelles de la ville disposant d’un budget. Elle accueille donc de nombreux projets, même si des spécialisations se sont dégagées du fait de la présence de groupes particulièrement dynamiques et actifs : le théâtre avec des montages réguliers de pièces françaises (en bengali) , dernièrement la traduction et les montage (bientôt la publication) de pièces de Wajdi Mouawad qui commence à être connu au Bangladesh ; le cinéma documentaire, dans une perspective industries culturelles et créatives, avec un festival international, un centre de ressources techniques, un lieu de résidence et d’accueil d’équipes de tournages.
La vie de l’alliance s’agence autour d’un comité qui, depuis le début et les efforts des premiers directeurs, comprend les représentants des familles les plus notables de la ville. Cette formule traditionnelle reste pertinente dans un pays comme le Bangladesh où l’égide protège de l’instabilité. Les membres du comité de l’Alliance Française de Chittagong peuvent ouvrir presque toutes les portes nécessaires. L’ambassade de France est également un partenaire attentif. Il n’y a au Bangladesh que deux alliances, pas de réorganisation en vue, pas de procédure études en France, et les relations sont donc proches et quotidiennes.
Le soixantième anniversaire de l’Alliance Française, auquel a naturellement présidé l’ambassadrice de France, a été marqué par l’inauguration d’une salle de français équipée par l’Alliance Française de Chittagong et l’ambassade France, à l’Institut des langues modernes de l’université de Chittagong, dans laquelle l’alliance dispensera la moitié des heures de cours soit 200 par année, offrant dans l’enseignement supérieur public la possibilité d’apprendre le français jusqu’au niveau B1 (c’est une nouveauté) ; les journées portes ouvertes ont été l’occasion de donner des cours de français de démonstration (qui ont généré des inscriptions), d’écouter la Voix humaine de Jean Cocteau, jouée depuis un fauteuil de bibliothèque, d’inaugurer une exposition d’art sur la construction du Moi. Enfin, à l’initiative du comité, un dîner particulièrement brillant dans la mythique résidence AK Khan de Batali Hill a été l’occasion de renouveler l’attachement des habitants de Chittagong à cette institution qui les sert depuis si longtemps dans un monde qui a tant changé.






