À l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, la Fondation des Alliances Françaises a interrogé des femmes de la communauté Alliance Française sur leur parcours professionnel et leur point de vue concernant les avancées des droits des femmes. Cette année, la thématique choisie est «L’innovation, le changement technologique et l’éducation à l’ère du numérique pour réaliser l’égalité des sexes et autonomiser toutes les femmes et les filles». Voici le témoignage d’Hélène Pichon, directrice de l’Alliance Française de La Haye, coordinatrice des Alliances Françaises aux Pays-Bas.
Son parcours en quelques mots :
Hélène Pichon, franco-suissesse, est titulaire d’un DEA ès Science Politique en langue anglais de la Sorbonne Paris IV.
Son parcours professionnel l’a emmenée successivement au Liban ; à l’ONU à Genève pour la République de Corée, puis à Bahrein. Elle a dirigé l’Alliance Française de Cork en Irlande, capitale européenne de la Culture, et piloté son Festival du Film Français. En janvier 2011, Mme Pichon a rejoint le Centre d’Étude et de Prospective stratégique, OING dotée du statut participatif auprès du Conseil de l’Europe, de l’UNESCO, de l’OCDE, de l’OIF et de la Commission Européenne, en qualité de directrice des relations avec les Institutions. Elle est aujourd’hui directrice de l’Alliance Française de La Haye et coordinatrice du réseau des Alliances Françaises des Pays-Bas, pour le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères depuis septembre 2022. Hélène Pichon est également Colonel de la Réserve citoyenne de l’Armée de l’Air depuis 2012.
Hélène Pichon a l’égalité à cœur, elle est d’ailleurs l’auteure du manifeste « L’Éternel au Féminin » qui revendique la pleine et entière parité pour les femmes au sein des hiérarchies des grands monothéismes.
Membre fondatrice du chapitre français de l’International Women’s Forum, elle a été membre du conseil d’administration mondial de l’International Women’s Forum de 2019 à 2021 ; elle est ambassadrice de la Fondation Antoine de Saint-Exupéry pour la Jeunesse, et vice-présidente de l’Institut Robert Schuman pour l’Europe pour le monde anglophone. Elle a enseigné à l’École d’Art et de Culture. Hélène Pichon a co-fondé en 2020 le collectif Toutes Apôtres, devenu association, le 8 mars 2021. Elle a rejoint les conseils d’administration du Comité de la Jupe et de la Société des Amis de la Fondation pour l’Islam de France en 2021. Hélène Pichon est la secrétaire générale de l’Association SDGS Champions depuis juin 2021.
- Que pensez-vous du thème le la Journée internationale des droits des femmes « Pour un monde digital inclusif : innovation et technologies pour l’égalité des sexes » ?
Je pense qu’il est parfaitement opportun et nécessaire que le thème retenu pour célébrer la Journée internationale des droits des femmes en 2023 soit celui d’un monde digital inclusif : les innovations numériques et les technologies digitales définissent notre présent et notre avenir. Elles constituent véritablement la 4e révolution industrielle, celle du XXIe siècle : elles sont les vecteurs et l’architecture même d’un nouveau système d’organisation et de valeurs pour l’Humanité. Or, aujourd’hui partout dans le monde, la part que les femmes représentent dans ces métiers est malheureusement insignifiante.
Le constat alarmant de cette absence de parité dans le monde de la Tech, induit que des biais et le risque que ces nouveaux modes d’interactions sociales et de modèles d’affaires soient développés selon un système de valeurs qui ne respecte pas l’identité de chacun(e), et des femmes en particulier.
Ainsi que le rappellent Lise Bachmann, fondatrice et dirigeante de Womaccelerator, Cristina Lunghi, Fondatrice d’Arborus, et Patricia Lecoq, présidente du Cercle InterElles : « Prenons l’exemple de l’IA qui transpose la pensée et la culture humaines sous la forme d’un code informatique. Si les concepteurs utilisent des données biaisées, et elles le sont, alors l’IA les accentuera au fur et à mesure de son expansion, tout comme le danger de voir croître les stéréotypes sexistes et les discriminations. De nombreux cas sont avérés dans le recrutement, la reconnaissance vocale ou faciale, la détection des sentiments, bref, dans toutes les interconnexions avec des humains.»
On se rend vite compte que les risques sont majeurs : dans un contexte géopolitique incroyablement inquiétant, dans des sociétés où la violence ne cesse d’augmenter, la place des technologies devient primordiale comme régulateur économique et social. C’est le développement d’un nouveau système de valeurs qui prend en considération le bien-être des individus qui devra être retenu pour un monde vivable.
La vraie question est de savoir dans quel monde nous voulons vivre et quel monde nous souhaitons léguer à nos enfants. Or, avec les technologies numériques et, en particulier I’IA, l’enjeu de la parité est devenu crucial. Car l’lA nous apparaît comme un moyen unique pour permettre d’accroître une vision commune et partagée entre les femmes et les hommes. Nous sommes aujourd’hui à la croisée des chemins, car nous pouvons saisir l’opportunité historique de revisiter tous nos référentiels de valeurs avec le codage de nos comportements, de nos habitudes, de nos sentiments, et la création d’inédits projets et systèmes d’organisation.
Il faudrait lancer un « Grenelle sur l’urgence de la parité dans la tech », avec le ministère du Numérique, car on ne peut numériser la société sans mixité !
Il est urgent de faire de l’égalité le pilier du monde qui se profile, de changer de discours et de l’envisager comme un enjeu de civilisation. Pour cela, nous devons en construire de toute urgence les conditions. Les solutions existent, à nous de les mettre en œuvre :
– L’éthique doit être présente dès la conception.
– Changer l’image de l’IA, de la cyber, des STIM et de la tech en général par des campagnes de communication déployées dans la durée, pour que les jeunes filles, sensibilisées très tôt, s’orientent vers ces formations et métiers afin de bâtir un futur plus égalitaire et durable.
– Offrir des outils concrets d’information à l’ensemble des acteurs concernés.
– Permettre aux entreprises privées et publiques de structurer et mesurer l’impact de leur IA sur leur inclusivité avec des audits réalisés par des tiers certificateurs. Le label GEEIS-Al est une référence dans ce domaine (les propositions de tous les réseaux sont sur https://arborus.org).
– Accélérer la parité au sein des instances dirigeantes de l’IA et de la tech.
– Lancer, sous le patronage du ministère du Numérique, un « Grenelle sur l’urgence de la parité dans la tech ».
- Pour vous, que signifie «l’égalité» homme/femme et comment la prenez-vous en compte dans votre Alliance ?
L’égalité homme/femme est le principe qui doit refonder notre Humanité dans l’équilibre et l’harmonie.
Ce principe fondateur est évident pour les scientifiques qui observent et comprennent toute vie terrestre.
Toutefois, l’intégration de ce principe élémentaire dans le fonctionnement de nos sociétés, reste hélas un encore très grand défi pour de nombreux pans de l’Humanité, qui restent régis par une loi tristement avilissante : « La loi du plus fort physiquement. »
Fort heureusement les Alliances Françaises du monde entier, et depuis leur origine en 1883 sont des lieux de culture et d’éducation : les deux sanctuaires qui accompagnent le progrès de la conscience humaine.
Dans mon Alliance, permettre à autant de femmes que d’hommes d’être en position de déployer leur plus haut potentiel est l’objectif numéro 1 qui régit toutes mes prises de décisions.
L’égalité femme/homme est pour moi le seul compas possible de l’action.
Ne jamais privilégier un genre par rapport à l’autre dans nos effectifs administratifs, enseignants, administrateurs, stagiaires, penseurs, artistes, créateurs, acteurs de la culture, de la pensée et étudiants : veiller comme une sentinelle à ce que toutes et tous soient reconnus, valorisés, encouragés, mis en lumière et en valeur.
De la même manière accueillir toute personne dont le genre est fluide relève du même engagement pour une Humanité réconciliée et apaisée.
- Quel est problème le plus important auquel les femmes sont confrontées aujourd’hui ?
Très fréquemment encore les femmes sont confrontées à différents plafonds de verre, elles restent cantonnées à des fonctions subalternes, héritages de millénaires de servitude. Elles ne parviennent pas encore et pas toujours et pas partout à prendre leur juste place.
À quand la première femme présidente de la Fondation des l’Alliances Françaises ? Depuis 1883, on compare notre très noble institution à une vieille dame qui n’a pas pris une seule ride, et cela est vrai, mais, nous n’avons hélas encore aucune femme qui a pu s’honorer d’avoir pris la présidence de notre très noble institution : à nous de tracer la route pour cette merveilleuse mutation, elle est urgente, elle est nécessaire, elle est saine. De même aucune femme n’a jamais été secrétaire générale de la Fondation des Alliances Françaises. Pourquoi ne pas faire advenir une nouvelle gouvernance du 21e siècle qui sanctuariserait précisément la parité, avec tantôt une présidente accompagnée d’un secrétaire général, et tantôt un président accompagné d’une secrétaire générale.
Les femmes doivent prendre confiance en elles, et définitivement vaincre le syndrome de l’imposteur.
Nous sommes admirablement capables de relever tous les défis de l’intelligence et de la conscience.
- Pensez-vous que les femmes puissent changer le monde ?
Radicalement les femmes peuvent changer le monde, car elles incarnent la diversité. Une Humanité en capacité de respecter et d’accueillir la diversité est une Humanité apaisée, grandie et épanouie.
A contrario une Humanité sectaire et exclusive est une Humanité stérile et limitée.
J’aime beaucoup rappeler cette notion de base, l’Humanité est composée de mammifères : les femmes dans cette Humanité portent des valeurs essentielles pour sa préservation et sa croissance : gardiennes et nourricières de la vie dans ses phases de plus grande vulnérabilité.
Elles-mêmes, si longtemps discriminées, dominées et avilies, sont détentrices d’une expérience, d’une conscience aigüe pour protéger, respecter tout être y compris le plus fragile.
Une Humanité qui fait de la place aux femmes à part égale avec la place réservée aux hommes, et une Humanité avancée, évoluée, déployée, optimisée, augmentée d’un génie créateur au carré : à nous de faire advenir un tel monde.
Un MONDE JUSTE.
- Que devraient faire les hauts responsables pour permettre à la prochaine génération de femmes dirigeantes de s’affirmer ?
Toute personne en position de responsabilité se doit de prendre pleinement cette responsabilité citoyenne et civique de ne jamais favoriser un genre au détriment d’un autre : chacune et chacun d’entre nous doit constamment chercher les femmes manquantes pour créer l’équilibre dans la composition de toute gouvernance et de toute organisation.
Qu’il s’agisse de composer une promotion, un conseil d’administration, une équipe de direction, de professeurs, un panel d’oratrices ou d’orateurs, d’auteurs ou d’autrices, d’artistes, etc. … Vivre pleinement et de façon concrète le « jamais sans elles ».
Rechercher constamment cet équilibre est un engagement du quotidien, l’exercice d’une volonté déterminée.
- Quelles femmes vous ont inspirée dans votre vie personnelle et/ou professionnelle ?
Une personnalité française qui m’a beaucoup inspirée dans ma vie professionnelle que j’ai eu le grand privilège de rencontrer est Simone Veil.
Une personnalité féminine vivante qui ne cesse de m’inspirer est Jacinda Ardern pour son extraordinaire leadership au féminin, totalement ancré dans la compassion et la gentillesse, perçues comme les forces suprêmes pour conduire l’Humanité.
Dans la lignée de Simone de Beauvoir, j’ai décidé dans l’écriture de mon ouvrage L’Éternel au féminin, de me dresser pour dénoncer le verrou qui, depuis des millénaires et encore aujourd’hui, permet de soumettre les femmes à la domination masculine dans de nombreuses parties de l’Humanité et les opprime : la trahison du message divin par les religions monothéistes, qui est à mon sens LA cause fondamentale, s’il n’en était qu’une, qui maintient les femmes dans une subordination que l’on croirait éternelle. L’Éternel au féminin dévoile les racines invisibles, si profondément ancrées dans nos sociétés, de l’inégalité entre les hommes et les femmes. Mon manifeste explique ce que des millénaires de tradition patriarcale ont tenté d’effacer : si Dieu est amour, il est aussi féminin que masculin. Dieu embrasse l’harmonie entre la femme et l’homme et leur égal accès à tous les pouvoirs, à tous les savoirs, à tous les dons, spirituels et matériels. Ce pamphlet raisonné consacre le lien sacré des femmes avec l’ Éternel, et la souveraine égalité des femmes et des hommes devant Dieu. La contribution – coup de poing, cri du cœur et de la raison – de mon manifeste libérateur est d’appeler à une nouvelle philosophie, à un nouvel humanisme. Le manifeste L’Éternel au féminin appelle les institutions religieuses à faire leur révolution pour accueillir au sein de leurs instances dirigeantes les femmes, en toute égalité avec la gent masculine.
mars 2023