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8 mars 2023 : Interview de Marion Lecardonnel, directrice de l’Alliance Française de Saint-Domingue, coordinatrice des Alliances Françaises en République dominicaine

À l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, la Fondation des Alliances Françaises a interrogé des femmes de la communauté Alliance Française sur leur parcours professionnel et leur point de vue concernant les avancées des droits des femmes. Cette année, la thématique choisie est «L’innovation, le changement technologique et l’éducation à l’ère du numérique pour réaliser l’égalité des sexes et autonomiser toutes les femmes et les filles». Voici le témoignage de Marion Lecardonnel, directrice de l’Alliance Française de Saint-Domingue, coordinatrice des Alliances Françaises en République dominicaine. 

 

Son parcours en quelques mots :

Marion Lecardonnel a déjà 20 ans dans le réseau des Alliances Françaises. Un parcours qui l’amène de la communication au français langue étrangère, en passant par le management culturel. Une passion Alliance Française qui naît à Quito et se consolide en Amérique latine/Caraïbes, où l’imaginaire poétique complémente très bien son pragmatisme français !

 

  • Pour vous, que signifie « l’égalité » homme/femme et comment la prenez-vous en compte dans votre Alliance ?

Il y a quelques semaines, on a fêté l’anniversaire du jour où, il y a 50 ans, les femmes ont eu le droit de s’inscrire à l’Université sans nécessairement l’accord de leur mari. L’histoire de cette quête d’égalité est si courte, l’émancipation des femmes, tellement récente. Cette égalité, que j’ai toujours perçu dans mon éducation comme acquise va s’effriter au fur et à mesure des années où je me confronte au quotidien à des postures fermées ou à des signes discrets d’une résistance masculiniste bien présente, en bref une sensation permanente d’être sur un ring et d’alterner défense et offensive. Clairement, pour moi, ce combat pour l’égalité entre les genres, est inséparable des autres luttes contre toute forme de discrimination raciale, sociale…

À l’Alliance Française de Saint-Domingue, dès 2019, on a pu percevoir les différences de traitement et de positionnement face aux questions de diversité sexuelle et d’identités de genre. Peu importe la génération, le genre, le milieu social, le parcours éducatif et professionnel, la culture d’origine, nous avons rapidement observé des comportements ou commentaires inadaptés, toutes personnes confondues.

Nous avons donc mis en place en 2020, en partenariat avec des formatrices de l’Institut du Genre et de la Famille de l’Université Autonome de Saint-Domingue, deux parcours de formation et d’espaces de parole, l’un avec l’équipe administrative, afin de prendre en compte les nouveaux enjeux dans la relation aux publics dans un contexte d’Alliance Française inclusive, espace respectant les droits humains. L’autre, à destination de l’équipe enseignante, afin d’analyser les situations de débats posés en classe, l’intégration de ces notions dans les manuels FLE utilisés, et la posture de l’enseignant, qui, à travers la langue, véhicule aussi les valeurs françaises de liberté de parole et de non-discrimination. D’une manière plus générale, nous avons aussi sollicité le conseil d’administration pour nommer deux référents anti harcèlement/discrimination. Une politique d’acquisition de livres jeunesse et adultes autour des thématiques sociétales, en écho à notre pôle Idées et Société, a aussi permis de constituer, à la médiathèque, un fonds de littérature verte, égalitaire, inclusive et féministe.

Nous essayons aussi d’avoir un recrutement inclusif, et une représentativité équilibrée de la société dominicaine et française au sein de l’équipe, grâce à la parité mais aussi à la diversité d’âge, de profils de formations, et aussi de convictions religieuses, et d’origine ethnique. Un effet positif immédiat ; les candidat.e.s qui aujourd’hui postulent aux offres que l’on propose, sont plus ouvert.e.s, et prônent une posture égalitaire qui correspond vraiment aux valeurs de l’institution. On peut donc en déduire que l’on a réussi à créer un espace tolérant où l’on peut travailler sans être jugé ni sur ses apparences ni sur ses convictions, ce qui marque une certaine différence avec d’autres lieux de travail.

 

  • La Journée internationale des droits des femmes a pour thème cette année : « Pour un monde digital inclusif : innovation et technologies pour l’égalité des sexes », qu’en pensez-vous, vous qui avancez dans le sens de la transition numérique ?

Je pense sincèrement que l’environnement numérique a permis de mettre en lumière des situations étouffées et de créer des espaces de liberté de paroles pour des femmes qui n’en avaient pas.

Je m’inquiète cependant de deux choses : d’une part la rupture sociale liée à la fracture numérique ; l’enseignement à distance pendant la pandémie a bien marqué la frontière entre les zones de résidences équipées à la fois en matériel et en qualité de réseaux de connexion et les fameuses zones blanches, où une grande partie des populations vit et n’a donc absolument pas le même accès à cette innovation technologique égalitaire. À noter donc l’exclusion de la société de l’information d’une manière générale.

Autre point d’inquiétude, la vulnérabilité des personnes, et de la jeunesse en particulier, face à un flux continu d’images et de messages promouvant régulièrement des valeurs matérialistes et superficielles renvoyant une image négative de la femme à travers, entre autres, des influenceurs dotés de méga pouvoirs d’influence auprès des enfants et adolescents.

Cette transition numérique doit donc, selon moi, nécessairement s’accompagner d’outillage et de formations pour lutter contre la désinformation, et la circulation de fausses informations. En ce sens, l’AF de Saint-Domingue a proposé en octobre dernier, avec la Ligue de l’enseignement, un parcours régional outillant (20h) pour décortiquer l’information et lutter contre les amalgames, préconçus, et autres idées fausses. Une posture de veilleur de l’info qui pour moi joue un rôle majeur dans la lutte contre les inégalités en général.

Deux pendants donc pour l’utilisation des nouvelles technologies ; une avancée innovante permettant de valoriser l’émancipation continue des filles et des femmes, dans un discours engageant et positif, donnant les moyens d’une éducation possible et d’une ouverture professionnelle sur le monde. Mais aussi tout un univers plus sombre nourrissant des propos violents et excluants, accentuant un discours inégalitaire.

 

  • Si vous en avez eus, quels sont les obstacles les plus importants que vous avez dû surmonter pour vous épanouir dans le monde du travail ?

Bonne humeur, fort tempérament et voix haut portée sont, pour beaucoup, synonymes de folie douce, instabilité et insouciance… Un patriarcat dominant le monde du travail lié à une certaine forme de cooptation masculine n’a pas facilité mon évolution personnelle au travail. Ce sont régulièrement des remarques, des décisions, des gestes mais aussi une validation de la part de certaines femmes, qui annulent en permanence la possibilité de collaborer sur un même plan d’égalité. Je crois que le sentiment d’infantilisation de la part des collègues et des supérieurs, est celui qui m’a le plus marqué tout au long de ma carrière, venant à chaque fois remuer mes convictions les plus profondes de pouvoir réaliser n’importe lequel de mes rêves. Loin de moi l’envie de généraliser (ni de féliciter d’ailleurs les bienveillants !), j’ai aussi heureusement croisé des professionnels et des ambiances de travail où les différences se notaient moins, notamment dans le secteur de l’éducation populaire et le milieu artistique.

Encore une fois, je pense qu’il est important de contextualiser cette position de femme, car dans mon cas, être une femme blanche, de milieu privilégié ne me place pas au même endroit que d’autres femmes et hommes, sur l’échelle de la discrimination. Ce n’est donc qu’en regardant tous les facteurs d’exclusion et d’inégalité de toutes les personnes concernées que nous arriverons à mener une lutte globale, sans devoir choisir qui il vaut mieux défendre aujourd’hui.

 

  • Quel message souhaiteriez-vous transmettre aux femmes à travers le monde en cette journée des droits de la femme ?

Il y a 20 ans mourrait Nina Simone : « Être libre, c’est ne pas avoir peur » elle disait.

Marcher dans la rue sans se faire harceler, parler fort sans se faire taire, se révolter sans être considérée hystérique, fermer et ouvrir les yeux à nouveau pour affuter son regard, aller chaque jour toujours un peu plus vers un monde plus égalitaire, c’est ce que je nous souhaite. Pouvoir choisir son identité sexuelle, ses partenaires, sa vie, ses vêtements, sans se soucier du regard et de la répression des autres.

Écouter les récits et l’histoire des femmes que l’on porte toutes et tous en nous, transmettre la force et l’intelligence de combattre côte à côte et non pas contre.

Tolérance et solidarité deviennent curiosité, empathie, bienveillance. Respecter l’humain dans tout ce qu’il a de plus beau, et pouvoir se dire que ses choix ne dépendent que de soi. Une lutte permanente contre toute forme de refus de la différence.

Je pense particulièrement au réseau diplomatique français à l’étranger et à nos métiers de pigeons voyageurs, d’ethnologues sans frontières, nous sommes en contact, tout au long de notre vie, avec différents contextes culturels, nous nous immergeons au sein de sociétés parfois totalement en opposition avec nos convictions, et devons à la fois faire preuve de résilience et de diplomatie et à la fois dès que ce peut, défendre les droits qui nous sont si chers. Par ce biais, nous devenons alors parfois des ambassadrices de l’égalité et du respect des droits de la femme.

 

  • Quels sont les défis qui vous passionnent et vous animent au quotidien ?

S’engager, militer, argumenter au quotidien. Nos espaces de classe et nos Alliances Françaises sont des lieux de vie, de partage, d’opinions et de débats. Nous avons le pouvoir à travers toutes les communautés que l’on touche, de diffuser un message constant de lutte pour la défense des droits humains, sociaux et culturels. Le plus grand défi : accepter la différence tout en luttant contre l’indifférence. Comme je le disais plus haut, nos métiers de voyageuses nous font régulièrement sortir de nos zones de confort et nous confrontent à une même culture de l’inégalité partout dans le monde, plus ou moins assumée.

Le plus grand défi selon moi actuellement est une prise de conscience collective de l’urgence de repenser le monde, nos modèles économiques, notre devoir de solidarité, arriver finalement à s’éloigner de son quotidien, bien analyser le panorama général, et peut être un jour se rendre compte collectivement que l’on marche sur la tête dans tous les domaines : l’écologie, le progrès sociale, l’éducation, la marchandisation, l’innovation technologique.

 

  • Pouvez-vous citer une personnalité féminine qui vous a inspirée dans votre vie personnelle et/ou professionnelle ?

Je crois que j’ai vraiment découvert le concept théorique d’inégalité des genres, en 2004, avec le mouvement Ni Putes Ni Soumises. Je me rappelle avoir étudié ce mouvement en classe de FLE avec mes étudiants équatoriens, à l’Alliance Française de Quito, et d’avoir eu des débats animés pendants plusieurs semaines, tout en me sentant si loin et concernée à la fois. La sensation de sécurité dans la rue, de nuit comme de jour, pour une femme, m’est alors apparue comme un grand privilège et a fait écho à mes années universitaires entachées par le harcèlement de rue à Montpellier.

Suivront ensuite des lectures et des rencontres décisives d’auteures, d’artistes comme Virginie Despentes, Mona Chollet, Dana Wyse, Emma, sur des sujets tels que les sorcières, le sexisme au quotidien, la charge mentale…

Dans ma vie professionnelle, je croise tous les jours des femmes dont les parcours m’inspirent, des femmes qui n’ont parfois pas d’autre choix que de porter une parole collective de dénonciation permanente et de revendication des droits, pour que jamais ne gagne l’omerta.

 

mars 2023

 

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